• Histoire d'une résurrection

    Sans les amoureux du cépage mansois, le marcillac, cher aux mineurs de Decazeville, n'aurait pas survécu.


    Philippe Teulier, du Domaine du Cros, sait, lui, ce qu'est un vrai bureau paysager. De ses fenêtres, à l'aplomb du village de Goutrens, ce viticulteur râblé domine l'appellation marcillac.

    Ici, à une vingtaine de kilomètres de Rodez, les vallons de l'Ady et du Dourdou ont creusé le terrain. Depuis les plateaux où broutent les brebis de l'AOC roquefort, le dénivelé peut atteindre 300 mètres sans reprendre souffle.

    Sur ces terres argilo-calcaires rougies par l'oxyde de fer "les rougiers " la place se gagne pied à pied. Terrasses étroites ou larges banquettes remembrées avec peine, le marcillac, qui a obtenu son AOC en 1990, est un vignoble jeune. Replanté de frais, mécanisation oblige.

    Dire que l'appellation (200 hectares) est confidentielle ne vexera personne. Si Michel Bras, chef étoilé de Laguiole, lui fait la part belle, les limonadiers aveyronnais de Paris ne l'ont guère favorisée. Il est vrai que, jusqu'au début des années 1980, le marcillac demeurait un vin ni fait ni à faire, proche de l'invraisemblable piquette qui avait abreuvé pendant un siècle les mineurs assoiffés de Decazeville.

    Tout le monde le reconnaît: sans les Vignerons du Vallon - cave coopérative de Valady - le marcillac aurait disparu. Frappé par le phylloxéra et la fermeture des mines. C'était aussi sans compter avec une poignée de jeunes indépendants bien décidés. Philippe Teulier, l'une des trois ou quatre locomotives de l'appellation, précise: «Notre grande chance a été de disposer d'un cépage unique adapté à notre terroir.»

    Salut au fer servadou, communément appelé mansois. Ce cépage aux jolies baies bleutées se récolte début octobre. De quoi attendre la pleine maturité sur ces terres rudes, où les saints de glace n'hésitent jamais à se retrousser les manches.

    D'un rouge rubis profond, le «fer» donne des vins aux senteurs de fruits rouges et de cassis, à boire jeunes et frais si les vignes sont plantées sur l'argile, plus structurés sur le calcaire, poivrés si l'on sait attendre. «Il faut laisser parler la vigne», souligne Jean-Luc Matha, apparemment moins amateur de technologies que son ami Teulier.

    Ne vous y fiez pas: cette figure locale au verbe imagé connaît toutes les finesses de la vinification. Il a aussi été le premier à pratiquer l'éraflage pour enlever au marcillac son goût herbacé. Une petite révolution accompagnée par Teulier et par la coopérative, qui, aujourd'hui, va jusqu'à sanctionner ses adhérents qui sèchent les réunions techniques.

    «Nous avons encore du chemin à parcourir», souligne Kasper Ibfelt, directeur de la cave coopérative. Ce jeune Danois, ancien négociant à Bordeaux, vient d'investir dans une unité d'embouteillage de pointe. Il compte bien ne pas en rester là. Notamment sur le plan marketing. Un œil neuf dans un vignoble enclavé et longtemps hostile vis-à-vis de l'extérieur.

    Bernard Angles, propriétaire du Domaine du Mioula, Aveyronnais qui a fait fortune dans la communication et les journaux gratuits, en sait quelque chose. Ne lui reproche-t-on pas d'entretenir une danseuse? Pourtant, Angles a investi gros pour faire un marcillac digne de l'idée qu'il en avait. Jusqu'à embaucher un œnologue. Il aimerait que le vignoble se hisse encore plus haut.

    Comme Matha, Teulier et Ibfelt, cet amoureux du mansois est résolument opposé à une réécriture du cahier des charges de l'AOC ouvrant le marcillac à d'autres cépages: «Nous casserions tout ce qui fait notre originalité.» Pas de panique: en patois, mansois signifie «celui qui résiste bien.»

     

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