• Le retour du Maître

                                                           Melchior Prince du temps


    Voici cette histoire, c’est une promenade dans le temps ce pourrait être moi, vous ou quelqu’un d’autre et c’est un moyen passionnant pour savoir comment c’était hier

    PM


                          

                                                             Pierre MARCHESSEAU

                               

                                                                        Présente

          


                                                      MELCHIOR PRINCE DU TEMPS


    C’est l’été à Loulay, petit village de Charente-Maritime. Il est semblable à tous les autres de France, avec son église, son curé, son école, sa place où les gamins jouent au football, juste à côté de la halle.

    Tous les mercredis, il y a le marché, les paysans y  vendent leur production. Chaque troisième jeudi du mois, c’est la foire. Les camelots s’y retrouvent sous des tentes bariolées tendues par des cordes.

    Sur la place de l’église, ils se cèdent leurs cochons et leurs vaches, dans un climat d’humeur joyeuse. Chaque affaire traitée, ils se tapent dans la main pour en arrêter le prix, en signe d’accord. C’est irrévocable et malheur à celui qui ne respecte sa parole.

    Les cousins, les frères, les sœurs, les grands-parents, les oncles, les tantes, tout le monde participe à la fête. C’est le meilleur moyen d’avoir des nouvelles des uns et des autres.

    Hormis ce jour, les paysans ne se fréquentent pas. L’intimité pudique de ces gens rudes fait qu’ils respectent le chez les autres. On ne se mêle de rien ou presque… tout au moins en apparence.

    Pourtant, un mal ronge nos campagnes, nos villes, nos cœurs, c’est le mal des «  on dit  », des ragots. Calomnier, calomnier, il en restera toujours quelque chose. Nous pourrions pourtant croire que les méchancetés meurent de leur propre venin.

    C’est ce que pense un vieux monsieur tout habillé de blanc, le Docteur Melchior d’Altus, assis sur le siège arrière d’une vielle Bugatti. Elle le ramène chez lui, en son château des mystères.

    Elle serpente sur la petite route sinueuse, qui va de La Jarrie Audoin à Loulay. En rentrant, il a eu envie de voir La Boutonne, petite rivière de la région. Au pont de fer, il s’est arrêté longtemps pour regarder l’eau couler. Il a marché le long de la route pour mieux s’imprégner de cette atmosphère qu’il aime tant.

    Il veut s’intégrer à la faune, à la flore, aux gens d’ici. Pour les deux premières, c’est chose faite, mais pour la troisième, c’est beaucoup plus difficile.

    Les paysans le repoussent, ils le haïssent, ils le calomnient. Le vieux docteur passe pour un sorcier qui fait disparaître les petits-enfants, pires  : il les mange.

    Plusieurs fois, les gendarmes ont enquêté sans succès et pour cause, mais le mal est fait. Ses employés l’ont quitté un à un, plus personne ne veut travailler au château. Il fait venir son monde d’ailleurs…

    Sa cuisinière est une jeune femme noire, son chauffeur un descendant d’esclave, les jardiniers sont allemands, les gens de maisons anglais. Un amalgame bien réussi. Ils sont bien payés, fidèles, ils ne se plaignent jamais. Chez le docteur Melchior, les employés sont plutôt bien traités.

    Depuis plus de dix ans, il vit en reclus, il ne parle à personne sauf à eux. Quand il en a assez de cette solitude, il fait de longs voyages, il visite le monde. C’est sa façon à lui de rompre son isolement.

    Il part en ballon, espèce de dirigeable avec lequel il découvre la nature, les forêts, la mer, avec qui il partage une idylle extraordinaire. Il vit depuis si longtemps, qu’on le dit immortel. Il est un élu du grand architecte de l’univers.

    Au fil de sa vie, il se bat pour que le monde soit meilleur. Il est garant d’un art de vivre. Plus il vieillit, plus il croit que son expérience le protège, mais il a de plus en plus de mal à comprendre la vie des hommes.

    C’est à tout cela qu’il réfléchit dans les derniers virages qui le conduisent au château. Il arrive d’Asie, de Mongolie où il a disserté avec de vieux prêtres bouddhistes.

    En arrivant à quelques lieux de son domaine, il n’a pu s’empêcher de faire passer son chauffeur par le chemin des écoliers. De Dampierre à La Fontaine Des Veuves, il a suivi La Boutonne.

    Au vieux carrefour de La Laiterie, il a pris la route de La Jarrie à Loulay, sa terre d’accueil, dans ce siècle si difficile pour lui.

    La voiture arrive au passage à niveau. Le dos d’âne a provoqué plus d’un chambardement. Il est désormais automatique. Auparavant, une famille, les Daniau, durant plusieurs décennies ont assuré la fermeture de la barrière. On s’était habitué à eux.

    Avec la rigueur horlogère d’une montre suisse, ils ouvraient, fermaient les barrières du passage à niveau. Jamais un loupé, jamais un raté. Le temps a passé et la technologie moderne est apparue. L’électronique remplace désormais les hommes.


    Désormais à la retraite, la famille Daniau a quitté le PN 425 ainsi répertorié à la SNCF. La poésie de la petite maisonnette s’est envolée. Une barrière automatique avec son feu clignotant la remplace.

    Autres temps, autres mœurs…La vielle Bugatti marron clair aborde le grand virage de La Jarrie, juste avant les maisons appartenant aux ouvriers de l’usine et de celle du maire M. MALVAUX. Il régna sur le village et le canton pendant plus de trente ans. Il a maintenant rejoint ses ancêtres…

    Le Dr MELCHIOR aperçoit, juché sur son tracteur le père Hillairet, la quarantaine  prononcée, dur, travailleur, front dégagé, moustaches touffues. Il a épousé les thèses marxistes, puis communistes. Il broie du rouge. C’est un gros propriétaire terrien, ennemi juré du docteur. Il  voit en lui un des suppôts du capitalisme.
    Le docteur n’en a que faire, il ignore cet individu depuis qu’il a refusé de vendre à son palefrenier de la paille, du foin pour ses chevaux et du fumier pour son jardin. Il en a trouvé ailleurs et on le lui livre gratuitement.

    Dommage, il aurait tant aimé faire partie des gens du village. Toutes les médisances sont venues par la faute des fumées noires s’élevant juste au-dessus des toits de son château.

    Personne ne s’en est ému jusqu’au jour ou le bruit courut qu’il brûlait les chiens, les chats, et faisait de la sorcellerie. Quand il revient au château, il s’enferme dans sa cave et n’en ressort que très tard la nuit tombée.

    Pendant des jours, des nuits, les fourneaux ronflent en dégageant des fumées noires. Mais que fait-il donc ?  Olive, l’épicier, lui livre des dizaines et des dizaines de kilos de sucre. Il fait peut-être de la confiture, peut-être… Mais pourquoi s’en cacher, et qui la mange ? Et pour faire de la confiture, il faut des fruits… aucun fruits ne sont jamais livré au château, ni ramassés dans les fruitières en quantité suffisantes, il n’y a pas assez d’arbres fruitiers pour autant de kilos de sucre…Autant de questions restées sans réponses….

    Un jour, Olive arrive au château pour effectuer sa livraison.

    Il remarque que la porte de la cave est restée entrouverte. Curieux, il saute sur l’occasion et la pousse. Il descend quelques marches, elles le conduisent au sous-sol. Il s’approche avec discrétion, le cœur serré car Olive il a la tchache mais c’est un poltron tous le savent au village. Il aperçoit tout un système de cornues en cuivre, d’alambics, de chaudrons, de serpentins et tout un appareillage mystérieux.

    Au fond de la pièce, il reconnaît la panoplie parfaite de l’alchimiste : pipettes, bouillonnement, fumées etc.… et comme si tout cela ne suffisait pas, il surprend deux gros rats, longs comme le bras, avec une queue immense qui se promènent.

    Notre Olive a si peur, qu’il fait demi-tour et se sauve à toute vitesse pour remonter les escaliers quatre à quatre. Il est livide, blême, et dans sa hâte et sa tête baissée et bien qu’il ne soit pas très grand il ne voit pas la poutre au-dessus de la  porte arrondie, celle du vestibule, et s’assomme net et s’écroule tout net KO comme un boxeur après un upercut.
    Les serviteurs du Docteur le retrouvent étendu sur le sol, ils le remontent dans le salon du rez-de-chaussée, le raniment avec une serviette humide et le remettent sur pied avec un bon coup de gnaule à 55 degrés.

    Soigné et pansé, il rentre chez lui, jurant mais un peu tard qu’on ne l’y prendrait plus.

    Arrivé au café du commerce, il raconte sa mésaventure. Bordelais d’origine, du côté de Saint-André-de Cubzac, il a le verbe facile Olive et sa petite histoire devient un long fleuve qui ne s’arrête pas de grossir, tant et si bien, que tout le canton est bientôt au courant de son histoire.

    Les rats sont devenus des monstres, les alambics des chaudrons où cuisent des chauve-souris et tous les animaux dignes des plus grands films fantastiques.

    Des fantômes invisibles l’ont frappé à la tête. Il n’a dû son salut qu’à une fuite éperdue.

    L’histoire d’Olive enfle en même temps qu’elle se raconte dans les champs, au café, dans les parties de chasse ou de pêche, auxquelles il participe.
    Il est devenu le personnage important du village avec lequel on doit être vu, celui maintenant sait.

    Sa petite boutique sur la place du village ne désemplit plus. On vient de loin pour tenter de l’apercevoir, lui parler. Il est devenu la vedette locale.

    D’ailleurs, se succès commence à l’embarrasser car il sait que toute cette histoire n’est que pure invention… Où tout cela va t’il le conduire, quand cela va t’il s’arrêter.

    Il est pris à son propre piège et son sommeil commence à se faire difficile surtout quand les gendarmes, a qui cette histoire a été répétée, le font venir.

    Ils l’interrogent et consignent par écrit ses déclarations. Les gendarmes BARON et ROULET chargés de l’enquête ne peuvent intervenir au château, aucune plainte n’ayant été déposée et pour cause.

    Le Sieur Olive n’a pas tellement envie que la vérité soit découverte, son égo en serait certainement très atteint et son commerce aussi. Les menteurs ne sont guères aimés dans nos campagnes.

    Quand on lui demande la raison de cette réticence, il répond inlassablement la même chose  : « Que voulez-vous que j’ y fasse, je ne vais pas porter plainte contre des fantômes, j’ai de la famille et je n’ai guère envie qu’on vienne la nuit leur faire du mal ». Et pour la bonne cause il ajoute : «  Si le maire faisait son travail, il fermerait le château  » A partir du moment ou des fantômes étaient en cause personne ne chercha à en savoir davantage, on ne sait jamais…

    Pourtant Olive n’avait pas à se plaindre du château et du Docteur Melchior, tous les achats d’épicerie se faisait chez lui.

    Ce dernier, apprenant les sornettes dispensées par Olive, ne lui passa plus aucune commande et c’est ainsi qu’il perdit son meilleur client et beaucoup d’argent, bien qu’il jurât à tous que jamais plus il ne livrerait un centime de produits au château. Mais, tel est pris qui croyait prendre. À partir de ce jour-là, plus aucun habitant du village ne pénétra au château.

    En grand dégustateur qu’il est, le Maître des lieux a dans sa cave des hectolitres de grande champagne et de bons vins. Il les stocke dans de grandes cuves en ciment année par année.

    Œnologue, le docteur les élève avec soin, les laisse vieillir, le s façonne, les chouchoute. C’est lui-même qui les met en bouteilles, il dessine ses propres étiquettes, les réalise dans sa petite imprimerie à main comme autrefois.

    Il est également propriétaire d’un droit de brûler depuis Louis XI. Il ne s’en est jamais séparé. Ce droit existe depuis le Moyen Age, il permet à son propriétaire de brûler du vin dans ses alambics pour en faire de l’alcool.

    Le docteur Melchior ne s’en prive pas. Il a mis au point ses méthodes de vinification, d’ouillage et de vieillissement. Il est le seul à les connaître. Il n’a certainement pas envie qu’on les lui copie.

    Toute cette alchimie, qu’il maîtrise à merveille, il la réalise seules, portes fermées. Quand il «  bouille  », on voit monter vers le ciel la part des anges. Ce sont des vapeurs d’alcool tiède qui montent vers le ciel et embaume le paradis et c’est pour cette raison qu’on les appelle les vapeurs des anges car elles montent au ciel…

    En retombant sur les murs du château, elles font proliférer un petit champignon qui noircit les pierres de la vielle demeure. L’alcool obtenu est mis en barriques, les premiers jus sont très alcoolisés, de couleur blanche. Il les laisse vieillir dans des fûts neufs en chêne.

    L’alcool prend avec le temps la couleur et le goût du bois. Peu à peu il devient cognac. Il reste ainsi de longues années dans ses caves bien au frais, à l’abri de la lumière.

    Le Prince melchior possède des centaines d’années, toutes meilleures les unes que les autres. Avec le second jus, il rajoute du sucre et laisse fermenter le mou.

    Il obtient un jus naturel, liquoreux, délicieux, alcoolisé, appelé
    « Pineau ». C’est le fameux Pineau des Charentes. Il y a du blanc, il y a du rouge. Certains ont eu la chance de goûter cet excellent breuvage, et n’en sont pas encore revenus.

    Au cours de son long voyage à travers le temps, il a offert aux Rois et aux Reines et à bien d’autres, ses élixirs de bonne santé et de bonne humeur.

    Chacun comprend mieux maintenant le pourquoi de toutes ces insinuations malsaines, toutes colportées par des villageois en mal de sensations.

    Quelques mois plus tard, Olive fut emporté par un mal secret incurable. La rumeur atteint son paroxysme et chacun y alla de son propre cancanage.

    Personne ne douta plus que les fantômes du château soient venus la nuit pour lui régler son compte…

    Par sécurité, le village décida de ne plus en parler, par peur des représailles. Les parents, le garde champêtre, le Maître d’école, les gendarmes mêmes interdirent aux enfants d’aller se promener ou jouer autour du grand parc ou était situé le Château.

    C’était devenu le château des mystères, surtout quand le maître des lieux y était. 

    A suivre et à demain

     

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