• Le mal des on dit

    Melchior Prince du temps suite


    Le temps passa et deux générations se succédèrent. Il y a maintenant la télévision, et nous sommes allés sur la lune. Beaucoup d’anciens sont disparus, ou sont partis travailler ailleurs. Plus personne ne prête attention au docteur Melchior.

    Quelques fois, les paysans du village aux champs voient le dirigeable survoler les terres et disparaître derrière les hauts murs de la propriété.
    L’âne braille quand il aperçoit l’aéronef venant du ciel, on entend le ronronnement de son petit moteur à deux temps à cinq lieux à la ronde.

    Le soir au café, les copains se préviennent. Parfois, le garde champêtre l’annonce discrètement quand il bat le tambour… La vieille peur des représailles sans doute.

    Pendant le dîner, les pères disent aux enfants «  ne tournez pas autour du château, on a encore vu des fumées tout l’après-midi, on ne sait jamais  » et ils changent vite de sujet.

    Les enfants ont grandi dans la peur tyrannique du vieillard aux cheveux blancs. Mais ils ne le craignent plus, ils en ont tellement entendu parler, ils en discutent même entre eux à l’école.

    Certains, plus courageux s’aventurent jusqu’aux murs du château, mais jamais plus loin, ils sont inviolables, infranchissables, et la grille est toujours fermée à double tour.

    Derrière les murs, il y a trois gros chiens, des dogues allemands, c’est Monsieur Coulon le vétérinaire qui l’a dit  : il  les a soigné, il paraît qu’ils ont une gueule énorme.

    Toutes ces choses ne sont pas faites pour briser la glace. Il faudra bien qu’un jour les choses changent. Au carrefour de l’arbre liberté, la vieille Bugatti freine, vire et s’engouffre dans le chemin qui va tout droit à la grille principale.

    Le père Hillairet fronce les sourcils, tout en labourant, il réfléchit, il transpire à grosses gouttes, hissé sur son tracteur, arc bouté sur son volant noir et abruti par le bruit du moteur diesel, il arrive au bout du sillon, s’arrête, relève sa charrue par le mécanisme hydraulique, recule de trois mètres et repart en marche avant, après avoir rabaissé le socle au niveau du sol.

    Au premier tour de roue le soc métallique s’enfonce sur plus de quarante centimètres de profondeur. Le fer en ellipse fait se retourner la terre sur elle-même et laisse derrière lui un sillon profond.

    La terre ainsi labourée dans cette période de sécheresse respire mieux. Aux labours de novembre, les herbes enterrées font de l’humus, surtout s’il pleut. Elle sera plus riche l’année prochaine.

    Il tient toutes ces astuces de son père, qui les tenait lui-même du sien. A son époque, c’était un superbe percheron appeler Coquette qui tirait la charrue. Il fallait deux jours pour labourer.
    Le champ était beaucoup plus petit et entouré de « palisses ».

    J’adorais venir aux champs avec mon grand-père. Ce dernier m’apprenait plein de choses. Il n’aimait pas Mr le maire, ni son usine, et ses trois cents ouvriers et ouvrières.

    Il me disait qu’ils se faisaient exploités.
    A la période des labours, dès qu’il avait quitté la ferme des grands arbres, mon grand-père me laissait les guides et je menais Coquette.

    J’avais appris à claquer la langue pour mieux l’encourager. Une fois aux champs, je courais après les grenouilles, sur les bords de La Trésance.

    Ce petit ruisseau prend sa source près du cimetière et se perd vers le château d’eau. Dans les « palisses » qui bordent le champ, je courais après les sauterelles ou les papillons.
    Quand je les attrapais, je les mettais dans une grosse boite d’allumettes de sûreté, achetée au bureau de tabac, je perçais le dessus avec des ciseaux pour leur donner de l’air.

    Dans une autre, je mettais de superbes libellules au corps de fée et aux couleurs de rêve.

    De temps en temps, je les relâchais, après les avoir nourris avec de l’herbe ou des fleurs. Ma mère, parfois, en avait assez de voir ma chambre transformée en laboratoire d’élevage, plus ou moins appétissant à regarder.

    Elle ouvrait la fenêtre et relâchait tous mes pensionnaires, qui s’envolaient délivrés de la prison que je leur avait faite. Quand je m’en apercevais, je me fâchais en me promettant de mieux les cacher la prochaine fois. Mais ma mère découvrait toujours ma nouvelle cachette. Je devais à chaque fois redoubler d’ingéniosité.

    En été, je me gavais de mûres ou de noix sauvages enveloppées dans une coque verte, tachée de points noirs. Elles me jaunissaient les doigts.

    Je m’en barbouillais le visage de gourmandise. Quand je revenais à la maison, j’entends encore ma mère me dire  : «  On dirait le vieil esclave noir du château.  ».

    C’est ainsi que, dans le village, on appelait le chauffeur du docteur Melchior. J’avais tellement honte que je courais me débarbouiller.

    Trop petit pour atteindre l’évier, je montais sur un tabouret et je me mettais la tête sous l’eau froide. A l’époque, l’eau chaude n’existait pas au robinet. Il fallait utiliser la bouilloire qui chauffait toute la journée sur la cuisinière à bois.

    Elle marchait tout le temps, même l’été. Maman s’en servait pour faire sa cuisine. Elle prétendait qu’il n’y avait rien de meilleur que sa cuisinière.

    Papa lui aurait bien acheté un gaz, elle s’était butée et avait refusé. Elle ne voulait que sa cuisinière, un point c’est tout.

    Combien de fois ais-je perdu l’équilibre une fois grimpé sur le petit tabouret… Je me retrouvais sur le dos, les quatre fers en l’air, au beau milieu de la cuisine de maman.

    Tout en labourant, André se rappelait sa jeunesse, il lui semblait que c’était hier. Au bout du champ il recommence sa manœuvre et repart dans l’autre sens.

    Il fait chaud, le col de sa chemise est ouvert. Un poitrail recouvert de poils noirs cache une constitution musclée. Trente ans de champs en ont fait un costaud. Ses manches sont retroussées au-dessus du coude. Ses bras, ses mains, ses ongles sont noircis par la terre, ils sont halés par le soleil de septembre et de tout l’été.

    Au-dessus de la pliure de sa chemise, on aperçoit un muscle saillant, dont la blancheur rayée par une veinule ressortie, détone avec le bronzage naturel du à l’air du temps. Une vraie ligne de démarcation.

    Il reconnaît immédiatement la vielle Bugatti qui descend la côte, le dépasse et s’éloigne. Il entend le eau ronronnement régulier du 8 cylindres du moteur italien dont le bruit s’estompe en s’éloignant.

    En haussant les épaules, il pense  : « Mais quand sera-t-on débarrassé de ce vieux fou ?  ». Il n’est pas tout à fait désintéressé.

    Si le vieux docteur disparaissait ou partait ses terres seraient à vendre, qui donc d’autre que lui aurait les moyens de les racheter ?

    Il était bien le seul du canton à le pouvoir. Il ferait de la monoculture et triplerait sa production. Au prochain remembrement il s’arrangerait avec l’administration, quitte  à céder quelques arpents de terre à l’un ou à l’autre. Quand ils sont entre eux, ils trouvent toujours des solutions.

    Tout en réfléchissant, il termine son travail. Le champ est enfin labouré. Il s’arrête, descend du tracteur, nettoie le soc de la charrue avec un balai, puis il la remonte et regrimpe sur son siège.

    Il s’essuie le visage d’un revers de manche, laissant de larges taches de terre et de sueur sur le tissu déjà bien sali et enfonce sur sa tête un béret basque.

    Il a un pantalon treillis Kaki, qu’il a du acheter au stock américain. Dans ses pieds, il chausse de magnifiques rangers dignes des boys de la guerre du Vietnam.

    La guerre, il connaît bien c’est un ancien combattant. Il l’a faite en Algérie avec son meilleur copain Marco Pelletier. Durant vingt-quatre mois, ils ont essuyé le feu “des fellagas“.

    Beaucoup de ses copains de régiment sont tombés. Lui et Marco en sont revenus. C’est un coup de chance, leur dernière heure n’avait pas encore sonné. Mais que sont ils allés faire là-bas se dit il chaque jour en pensant à eux, car on n’oublie pas ces moments là.

    Depuis qu’il est démobilisé, il a gardé l’habitude des rangers et des treillis. C’est tellement plus pratique, plus viril. C’est dans cette tenue qu’un soir il a connu Germaine.

    Elle était en panne avec son aronde noire sur le bord de la route. Il s’est arrêté et l’a ramenée chez elle. Il l’a revue au foyer rural.

    Primo Largoni avec Bébert et son grand orchestre animaient le bal des anciens combattants.

    Un peu enivré par quelques coups de blanc, il l’a invité à danser. Ils dansaient bien les bougres. Depuis, ils ne se sont plus quitté.

    Les mauvaises langues, la vieille Louise et tante Eva la couturière, celle qui est bossue, ont raconté qu’ils avaient mis la charrue avant les bœufs.

    Germaine, la fille de Firmin accoucha d’un prématuré prénommé Pierrot. Il pesait 3,5 kg. Les choses se passaient ainsi à cette époque.

    Pierrot a grandi, il va à l’école. Il a commencé chez Mme Aurioux au cours préparatoire, puis est allé au cours élémentaire.

    L’année d’après, il passe chez Mme l’écuyer, la directrice, une femme de forte de constitution, bien en chair, elle est très sévère, mais juste et gentille dans le fond.

    Sa particularité, c’est le bonnet d’âne qu’elle n’omet pas de mettre, sur la tête de certains cancres lorsqu’ils vont au piquet . C’est l’époque des tours de cour, punition aussi bête qu’inutile qui durent toute la récréation. Les punis tournent autour des platanes, les uns derrière les autres, en silence.

    Pierrot se bat avec la géographie, l’histoire, la grammaire, les fractions sans oublier les règles d’orthographe de l’incontournable Bled.

    Il est maintenant chez Mr Basque et prépare son certificat d’études ensuite, il ira au lycée agricole de Saint-Jean d’Angély, à moins que…

    Il a maintenant douze ans. Il a aussi un petit frère de neuf ans, Marc, il a un sobriquet “Gros sel “. Le père Hillairet redémarre son tracteur et regagne le village en prenant la route suivie par la vieille Bugatti.

    A l’arbre de la liberté, il tourne à gauche, prend la route de la gare et descend vers l’école. C’est l’heure de la sortie de l’usine. Elle n’est pas loin.

    La plupart des employés s’y rendent en vélo, c’est plus pratique et c’est surtout très économique. Il reconnaît et salue Yvon Poirier, vacher à ses heures de loisirs, la famille Proust à deux sur une bicyclette, Jean Mériau le contremaître. En voilà un qui a bien réussi, il est parti de rien. Avec courage, il a su arriver à être parmi les responsables de l’usine. Il est encore jeune, il ira loin.

    Le père David, président du club de football, son épouse et bien d’autres le saluent respectueusement lui, le gros propriétaire. Les femmes rentrent directement à la maison, certaines passent par la coopérative ou l’union situées sur la place ou chez le père Hervé, le boucher charcutier, depuis bientôt trente ans.
    Elles font quelques emplettes pour le repas du soir. Les maris s’arrêtent au bureau de tabac pour acheter leurs cigarettes. Ils fument tous la même chose ou à peu près, des gauloises ou un paquet de gris puis, ils retournent sur la place du monument aux morts.

    Ils posent leur vélo, le long des vieux tilleuls et par petits groupes, discutent quelques minutes avant d’effectuer leur chemin de croix.

    Ils commencent au bar qui changea de nom au fil du temps et des propriétaires successifs, “Café Longeault “ “Café Lasnes“, et maintenant “Chez Denise“pour se terminer au café du commerce chez le Père Lachaume ici depuis plus de 30 ans. Il nous a tous vu naitre.

    Chacun a son itinéraire propre, mais tous, à un certain moment se retrouvent ou chez l’un, ou chez l’autre.

    Jojo Martineau l’électricien, échange d’interminable joutes au billard à 3 bandes, pendant que d’autres jouent au baby foot. Les plus anciens tapent le carton et se lancent dans de longues parties de belote.

    On entend coincher, couper, surcouper, atout, sans atout, capot, cinquante, carreaux et dix de der, enfin tout un lexique, que dis-je, un bréviaire de connaisseurs dans un brouhaha de paroles, de cris, d’alcool et de fumées de cigarettes, qui enivrent tout ce beau monde, jusqu’à la nuit tombante.

    Seul le tintement clair des pièces qui tombent dans la caisse du patron, tranche dans le bruit sourd d’un tumulte raisonnable.

    Vers vingt et une heures, chacun rentre chez soi pour la soupe, et pour s’intéresser un peu aux choses de la maison. Ainsi va la vie, et c’est dans cette ambiance surchauffée et enfumée que le père Hillairet arrive au café du commerce.

    Il est passé par la ferme, pour garer son tracteur dans la grange, puis est rentré chez lui. Germaine lui a préparé une chemise propre, repassée avec le vieux fer qui lui vient de sa mère, il a encore sa poignée en bois.

    Elle a du le faire transformer de 110 à 220 volts.  Certes, il n’est plus tout jeune, mais on est économe chez les Hillairet. Tous les après-midi, la grand-mère assise dans son fauteuil près de la fenêtre donnant sur le jardin tricote, raccommode les pantalons, les chemises ou les chaussettes.

    Tout est vérifié et remis en état. Pas un bouton ne manque, c’est la règle. Autrefois, on lavait le linge au lavoir, mais avec l’arrivée de l’eau courante, c’est terminé.

    Le père Hillairet a fait l’achat d’une machine à laver, d’un réfrigérateur et d’un congélateur. Il se lave les mains avec du savon de Marseille, c’est moins cher et meilleur, pense-t-il.

    Il se passe la serviette sur la figure pour se rafraîchir. De grosses tâches de terre et de sueur collées à sa peau la maculent de traînées noires, très sales identiques à celles de ses revers de manches.

    Quand Germaine verra ça, elle sera encore mécontente, pense-t-il. Il la repose toute mouillée et sale sur le bord de l’évier en pierre, enfile sa chemise et la rentre dans son pantalon.

    Il s’approche de la grand mère toujours en train de repriser et lui dit  : ‘Grand mère, si Germaine me cherche je suis au café du commerce avec les copains, j’ai rendez-vous avec Jojo.

    La Grand-mère
    Jojo Martineau, l’électricien.
    Oui, c’est lui.
    Dis lui de passer pour réparer la lumière de la cave.
    André
    Oui je vais essayer d’y penser.
    La Grand-mère
    André  !
    André
    Oui Grand-mère
    La Grand-Mère
    Fais attention ne bois pas de trop, ce n’est pas bon pour ce que tu as.
    André
    Ne vous en faites pas Gran-mère, je serai là pour les informations  ;
    La Grand-mère
    Oui, sois bien à l’heure, la soupe n’attend pas, je ne veux pas rater mon feuilleton de 20h30.
    André
    Mais c’est du cinéma.
    La Grand-mère    
    Peut-être ,mais j’aime bien.
    André
    D’accord Grand mère, à tout  à l’heure.
    Quand il fut parti la Grand-mère s’écria :
    « Ah ces foutus bonshommes, il n’y a que leur bistro qui compte, de mon temps…Elle bougonnait  tout le temps comme le font les vieux quand ils commencent à radoter, mais elle est si gentille comme toutes les grands mères, elle a le cœur sur la main et tout ce qu’elles font n’est plus à faire.
    Germaine entrant.
    « Maman qu’est ce qui ne va pas ?  »
    La Grand- mère
    «C’est André il est encore parti au café »
    Germaine
    «  Comme  tous les soirs maman, il ne peut pas s’en passer. Ce n’est pas bien grave il voit ses copains, je préfère ça que s’il courait le jupon et il travaille si dur  »
    La Grand- mère
    « taratata de mon temps, ton père,  mon Firmin !  ..
    Germaine
    «  Quoi Maman, Papa n’y allait pas au bistrot lui  !  »
    La Grand-mère
    «  Certainement pas.  »
    Germaine
    «  Tu as la mémoire courte, j’étais petite, mais je l’ai souvent entendu rentrer tard et il n’était pas toujours tout seul le père.

    Une fois pour les  conscrits je crois, tu l’as fait coucher dans la cuisine par terre ? Tu n’étais pas très contente  ce soir-là Maman  ;
    La Grand-mère n’insiste pas, se tait et commence à bouder, elle n’aime pas avoir  tord …
    Germaine
    «  Moi mon André, il est toujours rentré tout seul.  »
    Vexée, la grand-mère  s’installe dans un mutisme coléreux qui, durera au moins jusqu’au lendemain.

    Germaine repère  la serviette sur le bord de l'évier, pousse un soupir de  désapprobation et l’enferme dans un grand sac avec le linge sale de la semaine. Quel vieux cochon pense-t-elle.
    Puis, elle part vaquer à ses occupations ménagères car elle doit préparer le dîner.
    André Hillairet pousse la porte du café du commerce enfumé et salue la compagnie  .
    Il aperçoit jojo et lui tape sur l’épaule, celui-ci se retourne, lui serre la main .  «  Les enfants vont bien  », dit-il.
    André
    «  Oui et toi tout va  bien, comment va ta femme,
    Jojo
    «  Ca va, un peu fatigué, le boulot, les enfants, les soucis, les mauvais payeurs, les échéances, le banquier mais on s’arrange  »
    André
    «  Dis donc, Dojo  je n’ai plus de lumière dans la cave, tu peux passer demain  ?  »
    jojo
    «  oui, j’essaierai, sinon j’enverrai mon ouvrier.  »
    André
    «  Je l’aime bien ton ouvrier, mais je préfère quand c’est toi, j’ai plus confiance.
    Jojo
    «  Bon d’accord je ferai le maximum, mais si je ne peux pas je t’envoie Gérard , ne  m’en veux pas ».
    André sait bien que quand Jojo dit  cela, c’est qu’il  vient lui même et André est satisfait, merci Jojo.

    Jojo se penche sur le billard et enfile  bille en tête 12 points de suite et termine par un superbe rétro qui rend le regard admiratif de ses adversaires.

    André a déjà rejoint le bar, « un petit jaune  Marco » demande-t-il au patron. Il serre quelques mains,  et propose une tournée aux copains qui l’entourent.

    Tous  acceptent, fiers d’être invités par André, , on ne lui refuse pas un verre, surtout à lui le riche propriétaire. Dites moi, le vieux fou est revenu, quelqu’un a des nouvelles , je l’ai vu dans sa vieille bagnole, il descendait la côte de la  jarrie vers 17 heures

    Tout le monde hoche la tête d’un air  contrarié. Dites bien aux enfants de ne pas traîner vers le château, on ne sait jamais,  ce soir je téléphonerai au maire, au garde champêtre ainsi qu’au père Basque à l’école.
    «  Les chiens vont encore aboyer dit Marco, c’est la lune rousse dit Jean-Claude Mériaux, c’est toujours à cette époque qu’il fait du feu.
        «  Oh quand il est là, elles fument tout le temps dit Chouchou le frère de Madeleine  »
        «  Comment va Madeleine  ?  l’interrompt André.
        «  En pleine forme, dit Chouchou
        «  Et le magasin  ?
        «  Le magasin ça va ,ça vient, c’est dur  en ce moment, mais elle travaille seule, alors sans  charge elle s’en sort.
        « oui, dit André, avec ces  supermarchés  toutes les boutiques “crèvent“ et chacun continue de déblatérer sur les choses de la vie autour d’un verre et quelques brèves de comptoir.

    Tout y passe, les absents, la politique, les affaires, la presse. Tous à tour de rôle remettent leur tournée une, puis deux, puis trois, quatre, cinq, six pastis sont avalés avant la tournée de la patronne, puis deux, puis trois, quatre, cinq,  six pastis sont ingurgités  avant la tournée du patron.

    C’est ainsi chaque soir depuis 20 ans. À la minute près, les verres se  lèvent et s’entrechoquent et sont reposés sur le bar une fois vidés d’un seul trait. Les pièces tombent dans la caisse, elles pourraient presque remplacer le vieux carillon qui lui, s’est tu depuis longtemps.

    Mais il se fait tard, André regarde sa montre, il est 19h45, il salue, serre quelques mains, et règle ses consommations, il tape sur l’épaule de Jojo et quitte le café.

    En moins de cinq minutes il regagne sa ferme.  Elle  n’est pas très loin sur la route de Saint-Jean, en bordure de la route nationale  allant de Niort vers Saintes. Les derniers vacanciers, porte- bagages chargés de valises, se croisent sur la route pas très large

    A cette heure-ci, il vaut mieux marcher sur le trottoir, c’est moins dangereux se dit-il. En passant, il aperçoit quelques amis qui prennent le frais après avoir dîner. Un  chien se promène, solitaire Il fait  beau en France l’arrière-saison est toujours très belle pense-t’il.
    L’air est encore chaud. La nuit commence à tomber. Il passe  rapidement devant la marchande de journaux, Mme Jallet, le garage du fils Planty et la gendarmerie. Il tourne sous le porche de sa ferme et rentre  chez lui.

    Il a croisé le boucher et sa femme qui devisait  avec l’instituteur  et le secrétaire de mairie.
        « Bonsoir, leur dit-il, vous tombez bien, j’allais  vous appeler en rentrant.  »
        « Bonsoir André lui répondit le secrétaire de  mairie, que se passe t-il  ?
        « Pas grand-chose, mais j’ai croisé le  vieux fou dans sa limousine cet après-midi.
        « Merci, vous faites bien de nous le dire, j’aviserai le maire et le chef de la gendarmerie. Bonsoir. Il leur serre la main et continue  son  chemin.  Dès  qu’il a le dos  tourné, il n’entend pas le secrétaire de mairie  soupirer. « Il est bien gentil André, on entend plein de choses sur le docteur Melchior, mais il ne s’est jamais rien passé et les gendarmes en ont marre. Il faudra bien qu’un jour éclaircir cette histoire afin  que le village le laisse  vivre en paix. La seule chose qui l’intéresse c’est de récupérer ses terres. Il en fait donc un coupable…

    Mais un coupable de quoi, personne n’a pu le dire jusqu’ici et ils ont tous de la chance que le Docteur ne se fâchent pas. Avec ce qu’ils racontent tous, ils seraient condamnés par n’importe quel tribunal. Ce ne serait pas très malin et le village en souffrirait certainement.

    Le vieux docteur aurait certainement aimé entendre ces paroles réconfortantes ? Il aurait été très heureux. Il n’avait pas que des  ennemis parmi les villageois…

    André pousse le battant de sa porte d’entrée et pénètre chez lui. Il sent les bonnes odeurs de la soupe de Germaine. Il est de bonne humeur et  tout va bien.

    On mange  dit-il, j’ai grand faim. Il se lave les mains et s’assoit à table. Tout le monde le rejoint. La soupe est déjà là, sur la table, fumante déversant son fumet comme un appel à la dégustation. Dès  qu’elle l’a entendu arriver,  Germaine l’a posé au milieu de la table et découverte pour qu’elle refroidisse…

    André ne l’aime pas trop chaude, et elle sent si bon. Le soir, il est toujours à l’heure, il ne veut surtout pas  manquer les informations, qu’il ingurgite au rythme des lampées de soupe.

    Après en avoir repris une louche, il prend la bouteille de vin rouge par le  goulot il se verse un bon verre  dedans. Il mélange avec sa cuillère le potage et le vin puis il attrape  l’assiette  avec ses deux mains, la porte à sa bouche et avale son contenu dans un bruit d’aspiration à  faire fuir tout un régiment de jeunes nonnes.

    Il la repose bruyamment  avec un sentiment de satisfaction, ah c’est bon de faire chabro dit-il, en soufflant et en s’essuyant la moustache d’un revers  de main.
    « Prends ta serviette  André, pas devant les enfants »

    Il fronce les sourcils, un peu vexé de la réprimande.  Il attrape la serviette que lui tend Germaine et  s’essuie les mains  et la bouche, puis il la repose  à coté de son assiette pliée en deux.

    Il fouille dans sa poche, sort son couteau  et  l’ouvre. Il attrape la miche de pain de sa grosse main poilue, fait une croix dessous avec la pointe et coupe une tartine pour chacun.

    Au fur et à mesure, il tend à chacun la tranche blanche à moitié détachée du corps de la miche afin que tous en aient un morceau, puis s’adressant  à Germaine  :
        «  Tu as fait quoi ce soir pour dîner  ?
        «  J’ai fait un lapin à l’ail et des patates paysannes.
        «  Ah j’aime bien, c’est prêt  ?
        «  Oui j’amène le faitout. Prends le dessous de plat.

    Pierrot l’aîné et Gros sel  son petit frère sont en train de terminer leur soupe.

    La grand-mère est à table, mais ne mange pas. Elle avale simplement un bouillon de légumes et des caillebottes de sa fabrication. Elle attend  pour voir son feuilleton du soir.

    Depuis son altercation avec sa fille, elle n’a pas desserré  les dents. Germaine amène le plat , le pose, il fume, sent bon, l’atmosphère se détend aussitôt.

    Germaine est très  fière de sa cuisine. Elle les  nourrit bien ses hommes, elle les veut forts, costauds et intelligents  .
        «  Ah Germaine dit André  !  !  !
        «  Oui, André quelque chose  ne va pas  ?
        «  Le vieux fou est  de retour. Pas de promenade pour les enfants autour du château, il vaut mieux se méfier  ? Surveille les biens ces jours-ci.
        «  Mais ils n’y vont jamais, pourquoi  dis-tu  ça aujourd’hui. Ils préparent la kermesse avec Mr le curé. Ils ont  autre chose à faire .N’est-ce pas les enfants  ?
        «  Mais on n’y va jamais papa tu nous l’as  défendu.  »
        «  Je t’ai défendu aussi de fumer, mais le père Henry t’a vu une cigarette au bec, hier soir sur les bancs de la place de l’église.
    C’est pas vrai papa, c’était une cigarette en chocolat. Germaine
     Il a dit la vérité, c’est moi qui les lui avait acheté.
    André
    Toi, il faut toujours que tu prennes leur défense. Des cigarettes en chocolat  ! Ca leur apprendra  à fumer des vraies plus tard. Tu ne crois pas qu’ils ont le temps.
    Germaine
    « Je ne vois pas pourquoi je ne dirai pas la vérité. André »
    André
    « Ca va, ça va. Mais le père Henry n’est ni fou, ni sénile »
    Germaine
    « Il n’a qu’à se mêler d’élever ses gosses, pas les nôtres ».

    Les enfants plongent la tête dans leur assiette, il vaut mieux se taire dans ces moments-là…

    Le père attrape la louche en inox posée sur la table. Il se sert, rajoute du jus sur les patates et la tend à Germaine pour servir les autres. Il prend sa fourchette et  écrase les pommes de terre d’un geste puissant, pataud et gauche.

    Quelques morceaux éclaboussent la table et tombent à côté de l’assiette. Il les ramasse avec ses doigts et les avale. «  Ah  ! C’est bon dit-il.  »
    «  Cochon, lui dit Germaine, tu ne peux pas faire attention tu en mets partout. Va moins vite.
    «  Ce n’est pas grave, tu as mis une toile cirée.
    Germaine
    « Je ne mets plus les belles nappes, tu les tâches toutes ».
    Le père prend une tranche de pain, la rompt, la trempe dans la sauce, jusqu’à ce que la mie soit bien imbibée.
    Il la porte à sa bouche, dans un bruit suffisamment bruyant pour couper l’appétit à tout un régiment.

    Le jus coule sur son menton. Il s’essuie, prend sa fourchette d’une main, le pain de l’autre et attaque son assiette. Il est affalé au-dessus du plat, la tête va chercher la nourriture presque au niveau de la table, les bras sont écartés. Germaine le regarde désolé et sait bien dans son for intérieur qu’il n’y a plus rien à faire de ce côté-là tout au moins.

    En face, les enfants se tiennent mieux que leur père.
    Le midi, ils mangent à la cantine et ce n’est pas Mme Lecuyer ou Mme Aurioux qui tolèreraient qu’ils se tiennent mal à table, même à la cantine.

    Germaine se réserve la carcasse du lapin. Elle se sert toujours la dernière. Comme dessert, elle a fait du riz au lait pour elle et les enfants, quelques fois la Grand-mère en prend. Le père finit toujours son repas avec un morceau de fromage et un verre de vin rouge. Après s’être curé les dents avec une allumette taillée avec son couteau? Il l’essuie couteau en frottant la lame de chaque côte sur la serviette.  Puis, il le referme, la claque d’un petit coup sec. Il remet le couteau dans sa poche, se lève et se dirige vers la porte.

    Il sort dans la cour comme tous les soirs pour aller soulager sa vessie. Il préfère la poésie du pipi au grand air, que le petit coin parfumé propre de Germaine.

    Ensuite, après avoir fermé la porte de l’écurie et de l’étable, il rentre et monte se coucher en criant bonsoir, faites de beaux rêves.

    Il se lève tôt, tous les matins à cinq heures, et ne traîne jamais le soir. La télévision ne l’intéresse pas, il ne regarde que les informations et le football. La grand-mère attend son feuilleton favori. Les enfants finissent leur devoir, ils se couchent tous les soirs vers vingt et une heures.

    Quant à  Germaine, il lui reste la vaisselle à faire, et la maison à ranger. Demain pour elle aussi la journée commence à cinq heures et tout doit être prêt.

    Vers minuit la grand mère éteint la lumière et monte dans sa chambre, il y a bien longtemps que tout le monde dort. Tous les soirs Germaine embrasse ses enfants avant d’aller dormir.

    Elle dit à Pierrot  : «  N’oublie pas ce que t’as dit ton père, demain n’allez pas traîner vers la château, c’est dangereux  ».
    Mais oui maman répondent les enfants. Et tout le monde s’endormit.

    A suivre

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